Menuet de Baccarat: Quand la 2e Division blindée s’illustre le 31 octobre 1944
La libération de Paris, la réalisation du serment de Koufra et enfin la prise du nid d’aigle haut lieu du national-socialisme, sont les symboles de la réussite de la 2e division blindée (DB) qui a su porter haut les couleurs de la France. Mais d’autres victoires, peut-être moins connues, sont tout autant caractéristiques de cette division.
Ainsi, la prise de Baccarat fin octobre 1944 en est un exemple révélateur. Lorsqu’elle débarque le 1er août 1944 à Utah Beach, les principales unités de la 2e DB sont : l’état-major, le régiment de marche du Tchad (RMT), le 1er régiment de marche du spahis marocains (1er RMSM), le 501e régiment de chars de combat (501e RCC), le 12e régiment de chasseurs d’Afrique (12e RCA), le 12e régiment de cuirassiers (12e RC), le régiment blindé de fusiliers marins (RBFM), le 13e bataillon du génie et trois groupes d’artillerie.
Mais la 2e DB c’est surtout un état d’esprit particulier lié à un chef charismatique : le général Leclerc. Colérique parfois car toujours tendu vers un objectif, c’est un chef qui sait se faire aimer par son humanité, sa clairvoyance et sa volonté inflexible. Sur le plan tactique, il a de grands principes qu’il s’attache à mettre en pratique. La DB doit être menée avec entrain par un chef toujours à l’avant au plus près des combats. La puissance ne doit pas faire oublier la rapidité et la surprise. Ce qui compte c’est l’objectif final, donc face à une résistance, on cherche à la contourner, on ne s’entête pas. Enfin, une large marge d’initiative doit être laissée aux commandants de GT.
En octobre 1944, les alliés ont, sur le front occidental, atteint une ligne passant par l’estuaire du Rhin, les frontières de la Hollande, de la Belgique, du Luxembourg, la Moselle pour atteindre la frontière suisse dans la région de Belfort. Le 20 octobre, le général Eisenhower, commandant suprême des forces alliées lance une offensive sur le Rhin avec trois groupes d’armées (GA) :�le 21e aux ordres du maréchal Montgomery, le 12e aux ordres du général Bradley et le 6e aux ordres du général Devers. Le 6e GA est composé de la 1re armée française du général de Lattre de Tassigny et de la 7e armée américaine du général Patch. C’est à cette armée et plus précisément au 15e corps d’armée (CA) américain du général Haislip qu’est rattachée la 2e DB dans la région de Baccarat.
Outre la 2e DB, le 15e CA comprend les 44e et 79e divisions d’infanterie (DI) US. De leur côté, les Allemands commandés par le général von Manteuffel, s’appuient sur les Vosges avec deux positions défensives, la Vor Vogesen Stellung et la Vogesen Stellung. Baccarat est un noeud routier barrant l’accès aux Vosges et la route de Strasbourg est fortement tenue par des 88 postés face à l’ouest. Le général Leclerc, tout auréolé de sa victoire à Dompaire, propose au général Haislip de monter une opération locale au niveau de la division visant à éliminer le saillant de Baccarat. Les Américains acceptent et prescrivent le déclenchement de l’opération dans l’après-midi du 29 octobre pour le 30.
Pour le commandant de la 2e DB, ce délai est trop court pour déboucher suffisamment tôt le 30 et coiffer tous les objectifs dans la journée. Il obtient le report de l’attaque d’un jour afin de pouvoir mener son attaque sur une seule journée et empêcher ainsi l’ennemi de se ressaisir. Leclerc veut déboucher là où l’ennemi ne l’attend pas et déborder largement l’objectif tout en l’occupant par une attaque de diversion au sud de la Meurthe en direction de Baccarat. Le 6e CA doit s’emparer des hauteurs sud-ouest de la Meurthe entre Saint-Dié et Raon-l’Étape puis des hauteurs nord-est de Saint-Dié. Le 15e CA doit l’aider dans sa progression en coupant les routes Baccarat Raon-l’Étape et Baccarat Blamont.
Pour couvrir le noeud routier de Baccarat et l’axe Baccarat-Montigny-Domèvre contre une attaque de blindés l’ennemi a organisé deux lignes de défense antichars : une première barre les routes RN 4 et RN 59 à Ogéviller et Azerailles, complétée par un solide point d’appui à Hablainville ; la seconde s’appuie sur Gélacourt et Blouville. Les champs de mines et les fossés antichars complètent l’organisation défensive. La 2e DB doit porter de forts éléments dans la région de Vacqueville, Merviller pour, d’abord, inquiéter et menacer les éléments ennemis dans la région de Baccarat, Raon-l’Étape, Badonviller amenant ainsi la chute de Baccarat et facilitant la progression du 6e CA US, puis s’installer et tenir les positions acquises jusqu’à la relève par la 79e DI US. L’intention première est de pousser le GTV au-delà de Verdurette susceptible de tenir le triangle Reherry-Vacqueville-freme du pont (1 km NE de Merviller), éclairé sur Mignéville, Montigny, Badonviller ; de reconnaître les organisations ennemies en direction du nord et de l’est et de menacer Baccarat en poussant de forts détachements offensifs vers Bertrichamps et éventuellement Neufmaisons.
La deuxième intention est de pousser le GTD initialement dans le triangle Brouville-Gélacourt-Merviller, dans le but de saisir les hauteurs nord et nord- est de Baccarat en vue de s’en emparer. Par la suite, il est nécessaire de masquer le flanc nord de l’attaque par le sous-groupement Massu, susceptible en fin de mission de pousser jusqu’à la Verdurette entre Ogéviller et Vaxainvile. Enfin, il faut simuler au sud de la Meurthe une activité offensive. Il y a peu d’axes, les champs sont impraticables du fait des pluies tombées les jours précédents et il faut éviter que les unités se ralentissent en se trouvant sur un même itinéraire. L’attaque commence à 8 h 30 sans préparation d’artillerie, mais avec de gros appuis de feu. La manoeuvre a parfaitement réussi et le 31 au soir, l’ennemi est pratiquement vaincu.
Il reste à nettoyer les environs de la ville de toute présence ennemie le lendemain. Le 1er novembre l’attaque se poursuit. En deux jours, la ville est prise et nettoyée grâce à une manoeuvre parfaitement montée, organisée et exécutée. Les sous-groupements ont manoeuvré avec une grande coordination et l’ennemi a été surpris. Les enseignements de cette bataille sont nombreux, en particulier sur le plan tactique. La manoeuvre de Baccarat porte la marque du chef, un condensé de la pensée tactique du général Leclerc : surprise, vitesse, contournement des résistances pour aller au but, décentralisation du commandement, chaque chef de groupement ayant sa mission et étant libre de sa manoeuvre pour atteindre l’objectif assigné. Enfin, le général Leclerc est fidèle à lui-même dans son style de commandement. Il se trouve au plus près des combats, au contact pour se faire une idée précise de la situation et, au besoin, stimuler les troupes.
Le 1er CA français tire rapidement les enseignements de cette opération. Une note du 3e bureau du 1er CA analyse la manoeuvre de Baccarat :
« L’opération semble avoir réussi par la qualité de sa préparation, par son déclenchement par surprise et sa rapidité d’exécution et parce qu’elle a été favorisée par le temps. La préparation a été soignée. Des reconnaissances de terrain ont été faites en piper-club par des officiers. Le catalogue des Batteries ennemies avait été adressé. L’emplacement des champs de mines ennemis avait pu être connu par des prisonniers. Le tracé de la ligne arrière avait pu être jalonné. La surprise et la vitesse ont été obtenues par une mise en place discrète sur les positions d’attente éloignées de la ligne de départ par un franchissement de cette ligne sans arrêt notable par la submersion générale du dispositif adverse en courant à l’objectif final pour empêcher l’ennemi de s’y rétablir.
L’infanterie portée des Combat-Command suivait sur half-track les engins blindés. […] Il semble que deux conclusions essentielles peuvent être tirées de l’engagement de la 2e DB. Dans la situation actuelle de l’ennemi une action de rupture doit être exploitée aussi vite et aussi profondément que possible par des moyens blindés et portés pour empêcher l’ennemi d’occuper et de se rétablir sur des organisations préparées. Il faut courir à l’objectif final en submergeant les résistances intermédiaires à réduire plus tard. L’engagement d’une DB doit, dans la période actuelle, être précédé de plusieurs jours de beau temps. Sans eux les chars, même munis de chaînes et de crampons seront rivés aux itinéraires, s’embourberont et ne pourront manoeuvrer. »
La manoeuvre de Baccarat fut l’une des plus brillantes exécutées par la 2e DB. Tout ce qui caractérise cette division et son chef se retrouve dans la prise de la cité du cristal (une des prises de guerre de la 2 fut un service en cristal destiné au maréchal Goering). Mais elle permit aussi d’ouvrir la route vers Strasbourg et la réalisation du serment de Koufra.