Ces dernières semaines, l’actualité du char de combat, allant du char léger au char lourd, avec le retour du char moyen, a été particulièrement riche, avec le lancement du développement du M1E3 Abrams américain, les avancées réalisées concernant le programme MGCS européen, ou encore les détails donnés autour du Leopard 2AX de KNDS.
Celle-ci fait naturellement écho au rôle déterminant que joue le char de combat dans la guerre en Ukraine, avec parfois des constats sévères sur certaines certitudes qui avaient cours jusqu’ici en occident.
De fait, face aux déboires rencontrés en Ukraine par le M1A1 américains, les Challenger 2 britanniques, et dans, une moindre mesure, les Leopard 2 allemands, les nouveaux programmes occidentaux, comme le M1E3, le MGCS et même le T-14 russe, visent tous une masse au combat plus réduite, de l’ordre de 50 à 55 tonnes, plutôt que 65 à 70 tonnes.
La Chine n’était pas, jusqu’ici, en pointe, dans le domaine du char de combat. Ainsi, bien que jugé très capable et performant, le Type 99A, son char le plus performant et le plus moderne, n’a été produit qu’à 600 exemplaires. L’état-major chinois donnait, en effet, la priorité aux forces aériennes et navales, en matière de modernisation.
Entré en service en 2011 et parfaitement moderne, on aurait pu penser que ce char aurait représenté le pilier de la réponse chinoise dans ce domaine, pour plusieurs décennies, sous couvert d’améliorations continues. C’est pourtant un char très différent, et, en de nombreux points, sans équivalent en occident, qui a récemment été photographié aux couleurs de l’Armée Populaire de Libération.
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Type 96, Type 99A et Type 15 : les chars de l’Armée Populaire de Libération ont beaucoup progressé ces dernières décennies
Si la composante terrestre de l’Armée Populaire de Libération demeure la plus volumineuse armée de la planète, avec un million de soldats d’active, son parc de chars de combat peut sembler, quant à lui, relativement modeste.
En effet, celui-ci se compose, aujourd’hui, de 4 500 chars de combat, parmi lesquels 600 Type 99A, la version la plus moderne, d’une masse au combat de 55 tonnes, armée d’un canon de 125 mm, et équipée, semble-t-il, d’un système de défense soft-kill. S’y ajoutent 600 Type 99, qui le précèdent, d’une masse de 51 tonnes, disposant d’un armement similaire, mais d’une électronique embarquée moins évoluée.
Le gros du parc chinois est constitué de 2500 chars moyens Type 96, un blindé conçu dans les années 90, d’une masse au combat allant de 40 à 45 tonnes, et d’une génération comparable à celle des T-72 soviétique, bien que très différent dans l’aspect. Armé d’un tube de 125 mm, ce char sert de base au VT4, le modèle d’exportation proposé par Pékin.
Depuis 2018, l’APL s’est également doté de 500 chars légers Type 15, un blindé de 33 à 36 tonnes au combat, armé d’un canon de 105 mm, spécialement conçu pour les missions de reconnaissance armée, mais aussi pour opérer sur les terrains difficiles impraticables par des chars plus lourds, comme sur les plateaux du Ladakh indien, ou dans les espaces subtropicaux, de la Mer de Chine du Sud.
Enfin, les armées chinoises disposent d’un millier de chars beaucoup plus anciens, comme les Type-88 et Type-79, faisant office de réserve, mais destinés à être progressivement remplacés.
Jusqu’à présent, donc, la flotte de chars chinois, n’était pas très différente, dans sa constitution, comme dans son évolution, des flottes russes ou occidentales, avec notamment une augmentation sensible de la masse, de la protection, de la létalité et donc, du prix, au fil des nouvelles versions.
Le cliché publié il y a quelques jours, sur les réseaux sociaux chinois, montrant un char de combat d’une conception en profonde rupture avec ces paradigmes, pourrait cependant indiquer que l’Armée Populaire de Libération, aurait pris une trajectoire beaucoup plus radicale, concernant les paradigmes appliqués à la conception de son nouveau char de bataille.
Pour l’heure, en dehors de ce cliché et des informations relayées sur les réseaux sociaux chinois, les données le concernant sont très limitées. Il est vrai que depuis 2019, Pékin se montre particulièrement attentif quant aux informations sur ses capacités industrielles défense et leur production, ce qui tend à créer un épais voile d’opacité autour de ses programmes militaires.
Quoi qu’il en soit, selon ces informations, ce nouveau char aurait une masse au combat de l’ordre de 35 tonnes, comme le Type 15. Il serait, également, armé d’un canon de 105 mm, comme le char léger chinois. Pourtant, il ne s’agirait pas d’un nouveau char léger, mais d’un char moyen, destiné à opérer en première ligne dans les combats de haute intensité.
Pour cela, il semble que les inégénieurs chinois soient partis d’une analyse comparable à celle publiée en décembre 2020 sur ce site, dans l’article « Les paradigmes du char de combat moderne sont-ils obsolètes ?« .
L’article préconisait, de manière synthétique, de s’appuyer sur une plus grande mobilité, les performances d’un système APS hard kill / soft kill, sur un armement principal plus léger complété par des missiles antichars et antiaériens, et sur un tourelleau téléopéré, pour obtenir, au final, les mêmes performances et survivabilité qu’un char lourd moderne, mais pour un prix beaucoup plus faible.
Ce sont précisément les paradigmes qui semblent avoir présidé à la conception de ce nouveau char moyen chinois, équipé d’un puissant APS pour assurer sa protection, d’une grande mobilité pour renforcer sa protection et sa létalité, et d’un armement complémentaire composé d’un canon de 105 mm pour engager les blindés moins protégés, de missiles antichars contre les chars lourds, et d’un RWS pour la protection rapprochée, notamment contre les drones.
Un profond changement de paradigmes sur la conception même de la fonction char de combat, adaptée au théâtre Indo-Pacifique
Contrairement aux chars M1E3, KF51 ou MGCS occidentaux, le nouveau char chinois ne s’appuie pas sur l’intégration linéaire des évolutions technologiques les plus récentes, notamment dans le domaine de l’automatisation et des nouveaux systèmes de détection, pour produire une version allégée, donc plus mobile, du Type 99A.
Il s’agit bien au contraire, d’une évolution profonde des paradigmes même du char de combat, avec une projection, à moyen termes, d’un usage relativement différent de ce que pourront faire les évolutions occidentales, ou même le T-14 Armata russe.
Il semble, par exemple, que l’équipage du blindé ait été ramené à seulement deux personnes, un pilote et un commandant, rassemblés dans une cellule de survie au cœur du blindé, la tourelle étant, quant à elle, entièrement robotisée. Ceci laisse supposer qu’une grande partie de la charge de travail sera déléguée à des systèmes automatisés, mais aussi que le blindé ne sera pas conçu pour opérer dans la durée dans une zone de combat de haute intensité, ce qui serait trop éprouvant pour l’équipage.
Au contraire, il semble conçu pour des missions frappes à longue portée, grâce à ses missiles, et des tactiques de type Shoot&Scout, plutôt que de subir le feu adverse. Cette doctrine d’emploi, basée sur la mobilité, parait, en effet, adaptée aux engagements auxquels l’APL peut être exposée, que ce soit dans la chaine himalayenne, face à l’Inde, ou dans un environnement subtropical, radicalement différent, en Mer de Chine du Sud, autour de Taïwan, ou le long de la seconde chaine d’iles qui le bloque l’accès au Pacifique Sud et à l’Ocean indien.
Démonstrateur, prototype ou char de pré-série ?
Reste que, pour l’heure, le faible nombre d’informations attestées au sujet de ce nouveau char, ne donne qu’une idée superficielle de sa fonction potentielle à venir, au sein de l’APL, notamment sa place exacte, dans le parc de chars chinois, entre le Type 15 et le Type 99A.
Surtout, il est impossible, aujourd’hui, de déterminer avec exactitude, si le modèle observé constitue un char de pré-série, destiné à prochainement rejoindre les unités d’active de l’APL, ou le prototype d’un programme toujours en développement.
Il peut même s’agir d’un démonstrateur technologique, comme il y en a de plus en plus en Chine, ce qui parfois induit des analyses précipitées quant à l’évolution des moyens de l’APL. Ce fut, notamment, le cas concernant l’observation d’un démonstrateur de corvette furtive ou des démonstrateurs de nombreux drones, voire de la plateforme expérimentale de porte-drones, qui n’a aucune capacité opérationnelle réelle.
Il faudra donc se montrer encore patient avant d’avoir une quelconque certitude concernant l’évolution du parc de chars chinois, et plus spécifiquement, pour ce qui concerne l’avenir de ce char moyen aux caractéristiques en rupture avec la trajectoire suivie par ailleurs, en occident comme en Russie.
Rien ne permet, en effet, d’assurer que ce modèle entrera bien en service au sein de l’APL, et encore moins qu’il viendra remplacer les chars lourds actuellement en service, même les modèles les plus anciens, proches en termes de masse.
Cela dit, il convient, aussi, de remarquer que la Chine a produit un nouveau modèle de char de combat sur chaque décennie depuis les années 70. Il est donc très probable qu’un nouveau modèle entrera en service sur la décennie en cours, d’autant que le Type 99A est entré en service au tout début des années 2010 (2011), comme le Type 99 qui le précédait, en 2001.
De fait, on peut effectivement s’attendre à ce qu’un nouveau char, baptisé Type 23 ou Type 24, c’est-à-dire conçu en 2023 ou 2024, apparaisse dans les années à venir au sein de l’APL. Dans ce contexte, il est, en effet, possible que ce char moyen aux paradigmes révolutionnaires, constitue les prémices de ce nouveau char à venir des armées chinoises. À suivre donc…